Le dress-code de la fille facile

Melody Desranges La Chambre Noire Danse un peu pour voir

Ce soir, il a fait froid. Je suis sortie seule comme d’habitude.
Je préfère faire comme ça.
On est plus libre. On n’est pas parasité par les pauses pipi des copines et l’absence de conversation ne me gêne pas.
J’ai pris des ruelles dangereuses comme d’habitude.
A pieds, et les mains gelées. Si je ne conduis pas, c’est pour ça. Ne pas justifier d’avoir envie du voyage. Il n’y a pas de bon moment. C’est n’importe où, n’importe quand. Et dans n’importe quelle direction que je parte, elles sont sales, ces rues. Ça pue, et rien n’est droit.
Comme d’habitude, je suis la tâche dans le paysage. Ma veste en tweed est trop raide, ou trop propre, je ne sais pas. Mes talons claquent sur les dalles de granit. Ici, les bruits sont normalement discrets sur les trottoirs. Moi, je dérange les oreilles et les regards.
J’ai croisé des gens.
Les mêmes gens que d’habitude. Ceux qui me bousculent parce qu’ils veulent voir de plus près mon visage. Ceux qui ne disent rien, et leurs yeux me suivent aussi à cause de la jupe qui ne dépasse pas. Ceux qui tentent leur chance et qui se contentent d’une réponse banale : « tu ne fais pas partie de mon casting » poliment reformulé dans le « très bonne soirée » d’usage.
Et il y a toujours ceux qui insistent un peu trop. Mais ils n’ont pas compris. Je ne m’arrête pas. J’aime Paris.
Le boulevard de droite, le passage de gauche, le 360 de la terrasse, et le ras du sol quand je pénètre dans ses couloirs.
« Qu’est-ce que tu viens foutre ici, Mélody ? ». C’est la question que j’entends dans ma tête quand ils ne me lâchent pas. Elle prend la voix d’une amie qui aurait du être là ce soir, elle remplace les gros yeux furax de mon père que j’imagine encore derrière moi à mon âge.
… Je leur réponds à moi-même que je poursuis la fille dans le miroir. Elle n’est pas toujours très belle, mais ses rêves continuent de courir. Et je n’ai rien trouvé pour les ralentir.
J’ai continué à marcher jusqu’à ce que les chevilles commencent à tirer. Je n’ai pas mangé. Au prochain coin de rue, le bar était bondé.
Comme d’habitude, pause clope sur le pavé. Les hommes dévisagent la fille qui s’apprête à entrer. Les têtes font des 180 degrés.

Comme d’habitude, tout le monde s’est écarté sur mon passage. Direction le comptoir, commander un verre. La musique est trop forte mais l’alcool me rendra bientôt sourde.
J’ai posé mon sac et quand j’ai relevé la tête, j’ai vu la fille dans le miroir derrière le bar. A cette heure-ci, les nanas sont des poupées de cire que le vent ne décoiffe même pas. Et elle, elle ne ressemblait à rien. Elle n’avait même pas de rouge à lèvres. Elle avait les mèches de cheveux rebelles, et le chignon qui s’écroule.

J’ai sorti mon portable. Le verre est arrivé quand il a délicatement posé trois doigts sur ma nuque. Même pas surprise. J’ai eu honte. Je n’étais pas belle à ce moment-là. Comment pouvait-il poser ses doigts sur moi ?
Ma peau a pris le temps de réfléchir. J’ai fermé les yeux et laisser faire. Un instant pour comprendre que c’était carrément gonflé pour un inconnu sorti de nulle part. Un autre pour finir d’analyser complètement ses empreintes digitales et savoir qu’il faisait partie de mon casting.
J’ai interrogé le miroir. Qu’est-ce qu’elle veut la fille ? Je lui donne ou pas ? On fait chez lui ou chez moi ?

Comme d’habitude j’ai tout lâché là.
Mes cheveux et mes rêves. Je n’ai même pas eu besoin de ma verve séductrice. J’ai juste offert ma bouche. Et il a embrassé grassement la fille dans le miroir. Une main dans ses cheveux et l’autre sur son cul. Il m’a pressée contre sa queue bandante. Et j’ai aimé le spectacle. J’ai eu envie qu’il lui fasse du mal. La fille a ouvert les vannes. J’ai eu les genoux qui tremblent … douce brûlure exquise … amer abyme entre mes cuisses.

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